En élisant Fernando Lugo, les Paraguayens ont mis fin à soixante et un ans, incluant les trente-cinq ans de dictature d’Alfredo Stroessner, d’emprise du Parti colorado. Le nouveau mandataire a remercié le peuple, qui a « décidé d’être libre et indépendant ». La nette victoire de l’ex-évêque - 41 % et 10 points d’avance sur la candidate « colorado » Blanca Ovelar - écarte la crainte d’un coup de force. En l’absence de majorité au Parlement, Fernando Lugo devra composer pour imposer les réformes dont a besoin le pays.
« Situation sanitaire alarmante »
Le Paraguay présente, en effet, jusqu’à la caricature le visage de ce que le libéralisme produit de pire en matière d’inégalités. Moins de 20 % de la population accapare 80 % des richesses. Un rapport de la Banque mondiale souligne que 33 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour (pour comparaison, un ticket de bus, une bouteille d’eau valent un demi-dollar).
Conséquence, la situation sanitaire est alarmante : l’épidémie de fièvre jaune, résultat de l’incurie du gouvernement de Nicanor Duarte Frutos, a coûté des dizaines de vies. Ananias Maidana, secrétaire du Parti communiste, rappelant que 21 enfants meurent chaque jour, qualifie sa politique de « crime contre l’humanité ».
Le Paraguay repose sur la nappe phréatique la plus importante du continent, qu’il partage avec l’Argentine et le Brésil, mais six habitants sur dix n’ont pas accès à l’eau potable. Aujourd’hui, un tiers de la population vit hors du pays. À cet exil s’ajoute un constant exode rural.
300 000 paysans sans terre
Paradoxe paraguayen : alors que la latifundia tend à se rétracter ailleurs, ici elle s’est étendue. Les paysans sans terre, au nombre de 300 000, rejoignent les villes, alors que des grands groupes agroalimentaires trustent de vastes espaces qu’ils dédient à la culture du soja, qui couvre les trois quarts des surfaces cultivables (2 % de la population détient 80 % des terres). Il convient d’ajouter que nombre de petits paysans préfèrent cultiver la marijuana, dont la rentabilité est cinq fois supérieure à celle blé, faisant du pays le premier producteur d’Amérique latine.
Les deux leviers sur lequel compte peser Fernando Lugo pour changer le pays en profondeur sont, outre la lutte contre la corruption généralisée, la réforme agraire et la récupération de la souveraineté nationale, grâce à une politique énergétique juste et efficace. Le Paraguay, privé d’industries, possède deux centrales hydroélectriques sur le Parana, construites avec l’aide de l’Argentine et du Brésil ; en contrepartie, ces deux pays bénéficient de tarifs préférentiels confinant au cadeau. Fernando Lugo a proposé durant sa campagne, comme le fait la Bolivie d’Evo Morales avec son gaz, d’appliquer les prix du marché, ce qui permettrait au Paraguay de fortifier son économie en s’appuyant sur les PME et la petite propriété agricole. Le nouveau président espère ainsi aider au retour de ses compatriotes que la pauvreté a contraints d’émigrer.
G. D., correspondance particulière dans l’Humanité du 22 avril 2008
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