Catherine Mills, économiste et spécialiste de la protection sociale, décrypte la réforme Bertrand sur les retraites. Elle dénonce une réforme qui organise la régression du système de retraite et la destruction de la solidarité. Elle appelle à la mobilisation pour lui faire barrage et renverser les logiques libérales.
Après les quarante annuités de cotisations, d’abord pour les salariés du privé (1993), puis pour ceux du public (2003), après l’attaque des régimes spéciaux (2007), le rendez-vous de 2008 annonce la couleur : 41 ans de cotisation en 2012 pour prétendre à une retraite à taux plein, 42 ans un peu plus tard. Et pourquoi pas la suppression de toute référence à un âge de départ en retraite comme le revendique le rapport Attali couvert d’éloges par Nicolas Sarkozy et le Medef ? Pendant ce temps, les prélèvements sur les salariés augmentent, les salaires stagnent, le pouvoir d’achat des salariés et des retraités se dégrade et la précarité continue de croître. Plus de 720 000 retraités vivent avec le minimum vieillesse, 632 euros par mois, soit 23% de moins que le seuil de pauvreté. A cela s’ajoutent les 4 millions de retraités au minimum contributif, ce qui représente au total 40%.des retraités.
Travailler plus, mais pour gagner moins !
Le plan emploi-seniors est un échec. À peine plus de 50% des 55/59 ans ont un emploi et déjà moins de 50% des salariés liquident leur retraite avec les annuités permettant d’obtenir le taux plein. Ceux qui partent sans le nombre d’années requises sont lourdement pénalisés par une décote de 5% à raison d’une année manquante. Avec les « réformes » en cours, le taux de remplacement (rapport de la pension de retraite sur le dernier salaire) ne se situerait plus qu’à 55% en 2020. Mais la précarité actuelle sur le marché du travail, encore plus notable chez les jeunes et les femmes, le phénomène va s’amplifier et le nombre de retraités pauvres se multiplier, puisqu’il sera pratiquement impossible d’atteindre les annuités de cotisations requises.
Le texte remis aux syndicats le 28 avril, prétend préparer le rendez vous de 2008, mais il fait l’unanimité des syndicats de salariés contre lui : • il reste arc-bouté sur ce seul principe : porter la durée de cotisation requise à 41ans d’ici 2012, soit un trimestre de cotisation en plus par an. Il faudra travailler et cotiser plus longtemps, mais pour toucher une pension dont le niveau relatif va baisser, compte-tenu du chômage, de la précarité des emplois qui entraîne des carrières incomplètes, et des règles de calcul des pensions durcies par les réformes Balladur et Fillon. Ce nouvel allongement de la période de cotisation ne pourra que se traduire que par une baisse des pensions pour un grand nombre de retraités ;
• Le départ anticipé pour carrière longue (commencée à 14,15 ou 16 ans) était l’un des rares points positifs de la réforme Fillon de 2003, en permettant aux personnes concernées de demander la liquidation de leur pension à partir de 57 ou 58 ans selon les cas. Cette mesure est désormais jugée trop coûteuse en raison de son succès, si bien qu’il est prévu d’en durcir les conditions en remettant en cause la validation de périodes jusqu’ici prises en compte, comme les années d’apprentissage, les travaux d’aide familial dans l’agriculture et le commerce…
• La prétention de garantir un montant de 85% du Smic ne vaut que pour les carrières complètes. En outre, elle ne dit rien de la baisse du pouvoir d’achat des retraites liée aux réformes Balladur et Fillon. Les pensions étant indexées sur les prix et non sur les salaires, garantir 85% du SMIC à la liquidation n’empêche pas que le pouvoir d’achat relatif de ce minimum baisse ensuite à travers ce décrochage par rapport au salaire minimum ;
• La question de la pénibilité du travail est complètement absente de ce rendez-vous de 2008. Elle est, comme en 2003, renvoyée à des négociations sous la coupe du MEDEF dont on sait qu’elles n’avancent pas d’un pouce ; • Contrairement aux prétentions de la loi Fillon de 2003, le financement des retraites s’est dégradé, avec un déficit actuel de 5 milliards par an, malgré les mesures drastiques et malgré une démographie moins problématique que prévu. Toute hausse des cotisations est refusée comme toute réflexion de fond sur le financement ; on continue d’évoquer des redéploiements des éventuels excédents de l’UNEDIC.
En réalité, contrairement à ce qui est affiché, l’emploi ne s’est pas amélioré. Certes les réformes régressives de l’indemnisation du chômage, les « statistiques bidon », les radiations et l’obligation qui se dessine pour les chômeurs d’accepter n’importe quel emploi, tout ceci permet à l’UNEDIC de dégager des excédents, que le gouvernement veut littéralement « pomper », au détriment de l’indemnisation des chômeurs et de l’aide véritable au retour à l’emploi, donc au détriment de formation nécessaire, alors qu’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé par l’assurance chômage.
Augmenter les excédents pour les redéployer
En outre, si l’excédent de 2007 a atteint 3,5 milliards d’euros, la dette cumulée de l’UNEDIC se situe encore à 9,5 milliards. La branche famille de la Sécurité sociale est à son tour mobilisée. Elle était légèrement excédentaire en 2007 (200 millions d’euros), mais il est prévu de rogner sur les prestations (diminution des majorations selon l’âge de l’enfant, diminution de l’allocation de rentrée scolaire…) Alors que la branche famille devrait être mobilisée pour verser une allocation dès le premier enfant (ce qui était une promesse électorale), on veut en augmenter les excédents pour les redéployer.
• Sous couvert de favoriser l’emploi des seniors, le gouvernement veut inciter au cumul emploi-retraite en faisant sauter tous les garde-fous. De fait, cela permettrait de faire disparaître la notion même d’âge de la retraite en obligeant de cumuler des retraites réduites avec un travail mal rémunéré. Il s’agirait dans le même temps de faire sauter toutes les limites d’âge pour certains emplois, ce qui pourrait s’avérer dangereux (notamment dans des métiers comme les transports). • Pour vaincre les réticences des syndicats sur la mesure des 41 ans de cotisations, on renvoie aux accords de branche ou d’entreprises. Il y aurait donc des mesures parcellaires qui amplifieraient les inégalités entre retraités.
• Le gouvernement réaffirme l’augmentation du minimum vieillesse ou des pensions de réversion (mesure en réalité peu coûteuse car celles-ci sont de moins en moins nombreuses), mais il ne dit rien des 4 millions de retraités qui sont au minimum contributif de la CNAV, dont une très forte majorité de femmes.
• Il confirme son intention de supprimer la dispense de recherche d’emploi pour les salariés âgés de 57 ans. Ceux-ci vont voir leur situation empirer jusqu’à l’âge où ils pourront liquider leur retraite, surtout si l’on supprime en même temps les dispositions spécifiques auxquelles ils avaient droit sur l’ASS. Ceci revient à les condamner à accepter n’importe quel emploi (s’ils le peuvent…) alors que les employeurs sont exonérés de toute responsabilité.
La droite a été sanctionnée lors des municipales et des cantonales. Les forces de progrès se mobilisent pour un projet et des solutions, notamment sur le pouvoir d’achat, le travail et l’emploi, les retraites. C’est le sens du soutien et de la participation du Parti communiste aux manifestations du 22 mai contre les objectifs Sarkozy-Fillon-Bertrand, pour défendre et promouvoir une réforme solidaire de nos retraites. Loin d’avoir entendu le message des urnes, Nicolas Sarkozy et François Fillon ne veulent pas revenir sur les 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches et prétendent accélérer encore leur politique de régression sociale pour le plus grand nombre. Ils refusent d’examiner les propositions alternatives pour un autre financement des retraites. En réalité, on peut dire non à cette « réforme » et financer de vraies retraites à partir de la répartition et non de la capitalisation ! Avec les syndicats, nous disons non à l’augmentation de la durée de cotisations, nous voulons que l’on reconnaisse les départs anticipés en raison de la pénibilité. On peut garantir la retraite par répartition, augmenter les basses retraites, assurer le rattrapage du pouvoir d’achat des retraites. Nous refusons les plans d’instauration de la capitalisation et des fonds de pensions qui jouent la retraite en bourse en soumettant les retraités aux turbulences des marchés financiers.
L’emploi au cœur du financement des retraites
Cela exige un relèvement du taux d’activité notamment des femmes, des jeunes, des seniors. Le développement des salaires, de la formation contribuerait à un nouveau type de croissance ainsi qu’au financement des retraites, afin de résorber la précarité, de promouvoir et de reconnaître la formation dans la promotion salariale. Sécuriser l’emploi, les revenus et la formation, ceci contribue au financement des retraites.
Nous proposons de revenir sur les exonérations de charges patronales et de travailler à un développement et une sécurisation de l’emploi et de la formation notamment en construisant des Fonds régionaux pour le développement de l’emploi et de la formation à partir d’un nouveau crédit. Nous proposons une réforme des cotisations patronales visant à accroître les rentrées de cotisations. Les entreprises qui développent l’emploi, les salaires, auraient un taux de cotisation relativement abaissé, mais la réorientation des politiques économiques et des gestions d’entreprises pour développer l’emploi, les salaires et un nouveau type de croissance, cela accroîtrait la masse des cotisations.
Les entreprises génératrices de licenciements, d’emplois précaires, de bas salaires, et qui jouent sur les placements financiers seraient assujetties à des taux de cotisation beaucoup plus lourds. Cette modulation des cotisations patronales obligerait les entreprises à se brancher sur le développement de l’emploi, de la formation, des salaires et sur un nouveau type de croissance
Pour garantir le système par répartition, pour permettre aux salariés de partir réellement à 60 ans avec de bonnes retraites, de nouveaux financements sont incontournables. Les revenus financiers des entreprises ne contribuent pas au financement de la protection sociale. Leur appliquer le même taux de cotisation qu’aux salaires apporterait 20 milliards d’euros par an alors que le déficit 2007 de la branche vieillesse est de 5 milliards. A cela s’ajoutent les revenus financiers des institutions financières 60 milliards par an : les assujettir au taux de la cotisation salariale pour les retraites ferait rentrer 6 milliards d’euros de ressources supplémentaires.
Tous ensemble
Avec les syndicats, exigeons aussi que le gouvernement cesse de couvrir le MEDEF qui bloque les négociations sur le départ anticipé à la retraite pour pénibilité du travail. Pour changer réellement il faut aider à la réussite des mouvements sociaux afin de peser pour la construction d’une alternative politique à gauche en rupture avec le libéralisme. Pour rompre avec la logique de la droite et des dogmes libéraux sur les retraites exigeons aussi que le gouvernement cesse de couvrir le MEDEF qui bloque les négociations sur le départ anticipé à la retraite pour pénibilité du travail.
Il faut un PCF profondément transformé, utile aux luttes et aux propositions alternatives, capable de peser pour une transformation de l’ensemble de la gauche pour rompre réellement avec le libéralisme, pour changer réellement la société, pour changer la vie. Afin que les salariés conquièrent de nouveaux droits et pouvoirs, ainsi que les retraités et tous les citoyens, les salariés doivent pouvoir intervenir sur l’utilisation de l’argent pour l’emploi, les salaires, le financement de la protection sociale, le développement.
Oui, on pourrait mobiliser l’argent, par un nouveau crédit, des fonds régionaux, d’autres missions de la Banque centrale européenne, pour l’emploi, la formation, pour le réorienter au service du pouvoir d’achat, des salaires, de la formation, du service public, de la santé, des retraites plutôt que dans la spéculation comme cela est le cas avec la crise financière en cours.
Catherine Mills
Economiste, Maître de Conférence à Paris 1.Retraites, Des luttes immédiates à une réforme alternative, Le Temps des Cerises, 2003.
Source : http://www.humanite.fr/Reforme-des-retraites-Travailler-plus-pour-gagner-moins?var_mode=calcul
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