Armé d’un fil et d’une aiguille, Rick, un jeune chômeur, referme lui-même la plaie longue et profonde qui parcout son genoux : « je n’ai pas les moyens de me payer de véritables soins. » Le plan suivant nous montre Adam, la cinquantaine passée, penché sur la scie électrique qui lui a récemment emporté deux doigts. Un accident domestique comme il s’en produit souvent. Mais lorsqu’il est arrivé à l’hôpital, ses deux bouts de doigt en poche, on lui a sorti les tarifs : 12 000 dollars pour lui recoller l’annulaire, et 60 000 pour le majeur. Adam n’a pu se payer que l’intervention à 12 000 dollars.
Dans quel pays du Tiers-monde ces images ont-elles été tournées ? Aux Etats-Unis d’Amérique, la première puissance économique au monde. On a tous entendu dire que le système de santé américain était très inégalitaire. Mais le dernier film de Michael Moore, Sicko, permet de prendre la mesure de la catastrophe. C’est également un puissant plaidoyer contre ce système de santé rongé par des mutuelles privées uniquement préoccupées par leurs marges de profit.
Comme Adam et Rick, 50 millions d’Américains n’ont pas d’assurance maladie. On estime que 18 000 d’entre eux en meurent, chaque année. « Mais ce n’est pas le sujet du film », explique Michael Moore. Le sujet du film, c’est l’enfer auquel sont confrontés de très nombreux Américains qui ont une mutuelle, lorsque par malheur ils tombent malades. Car le fait d’avoir souscrit une telle assurance n’est pas une garantie que vos soins seront payés. Les mutuelles privées n’ont tout simplement pas intérêt à vous rembourser : il y va de leurs bénéfices. Le remboursement d’un soin est une « perte » ; le refus de le rembourser, un « gain » : ainsi s’exprime-t-on, dans les hautes sphères de ces entreprises qui spéculent sur la santé de millions de travailleurs américains.
Fidèle à sa méthode, Michael Moore recueille toute une série de témoignages poignants qui se complètent pour former une seule et même dénonciation. Par exemple, une mère explique comment son enfant, victime d’un malaise soudain, est mort parce que sa mutuelle refusait qu’il soit reçu aux urgences les plus proches de son domicile.
Dans le bâtiment des urgences, des médecins étaient là qui auraient pu sauver l’enfant. Mais au téléphone, les ordres de sa mutuelle étaient formels : nous ne payeront pas les soins s’ils sont effectués ici. Dès lors, rien à faire : « circulez ». Ulcérée, la mère protestait, insistait, s’acharnait. Mais rien n’y fit. Le temps de se rendre dans le « bon » hôpital, l’enfant s’était éteint.
Sicko rapporte un certain nombre d’histoires dramatiques du même ordre, souvent très émouvantes. La mort n’est pas la seule option : les plus chanceux s’en sortiront avec d’énormes dettes, ou encore d’insupportables souffrances physiques ou psychiques. Au fur et à mesure que le film relate ces vies brisées sur l’autel du profit, on comprend qu’il ne s’agit pas de « faits divers » ou d’exceptions, mais de tragédies fréquentes, conséquences inévitables d’un véritable système.
Ce système, Moore montre aussi ceux qui en profitent : les grands patrons de l’industrie de la santé et les politiciens à leur solde (dans tous les sens du terme). Les bénéfices records, la corruption, les doubles discours : Moore intercale tout cela, sous formes d’images d’archives, entre les différents témoignages. Le contraste est poignant entre, d’un côté, cette caste de millionnaires pétrie de cynisme qui s’arroge le droit de vie ou de mort – et, de l’autre, ces familles dignes, courageuses, mais pauvres, qui racontent leur drame. Au passage, Moore – déjà la bête noire de Bush et des Républicains – discrédite les politiciens démocrates, et notamment Hillary Clinton, dont il dévoile la vénalité et la soumission complète aux intérêts de la classe dirigeante américaine.
Mais les témoignages les plus impressionnants sont peut-être ceux des anciens employés des grandes mutuelles privées, qui ont démissionné pour ne plus se sentir complices. Une ancienne secrétaire raconte, en larmes, qu’elle savait d’un coup d’œil si un dossier de candidature allait être rejeté par ses chefs. Car il faut postuler pour souscrire une assurance privée : celle-ci ne va pas prendre le risque de couvrir quelqu’un dont le passé médical augmente la probabilité qu’il soit malade ! Telle est la complète absurdité de l’affaire. Mais comme le disait Shakespeare, « il y a de la méthode dans cette folie ». Un médecin aillant quitté l’une de ces entreprises explique que son travail consistait à débusquer des vices de procédure, dans les dossiers des assurés, pour éviter d’avoir à payer leurs soins. Un autre raconte qu’il était généreusement augmenté chaque fois qu’il parvenait à réduire le nombre de remboursements. Or plus le mal est grave, plus les soins sont chers, et plus les enjeux financiers, pour la compagnie, sont importants. Ainsi, la course au profit entre en conflit direct avec la santé publique.
Une fois ce constat établi, Michael Moore entreprend un périple dans trois pays – le Canada, la Grande-Bretagne et la France – où il discute avec la population, les médecins et les employés des hôpitaux. L’objectif de Moore est de créer un contraste frappant entre les systèmes de santé de ces pays et celui des Etats-Unis. Ce faisant, Moore force le trait. Les travailleurs français, canadiens et britanniques ne partageront pas son enthousiasme pour leurs systèmes de santé respectifs, que leurs classes dirigeantes, d’ailleurs, ne cessent d’attaquer. Mais Moore ne fait pas dans le détail, pour ainsi dire, et ce jeu de contrastes lui donne une occasion de déployer son excellent humour. Pour finir, il amène un groupe d’Américains malades à Cuba, où ils se verront accorder gratuitement – comme c’est le cas pour tous les Cubains – les soins de qualité qui leur étaient refusés aux Etats-Unis.
Ce film a eu un énorme impact, outre-Atlantique, où il a suscité, chez des milliers de personnes, la volonté de s’organiser et de lutter pour le droit de tout citoyen américain à une véritable assurance maladie. Des réunions publiques ont eu lieu ; des comités de lutte se sont constitués. C’est un symptôme de la grande fermentation sociale à l’oeuvre, dans ce pays.
En France, également, nul doute que le film sera un succès. Il comprend d’ailleurs un avertissement pour la classe ouvrière française. La droite et le MEDEF rêvent de démanteler la sécurité sociale et d’ouvrir davantage le secteur de la santé aux mutuelles privées. Lors de la présentation de Sicko, à Cannes, Michael Moore nous a prévenus : « ne laissez pas Sarkozy s’inspirer de notre système ». Les jeunes et les travailleurs qui n’en seraient pas encore convaincus ont tout intérêt à aller voir ce film.
Jérôme Métellus (PCF)
Source : La Riposte
lundi 17 décembre 2007
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