jeudi 5 juin 2008

La faim, pourquoi ?

Crise alimentaire . Les vraies causes de la flambée des prix sont à rechercher du côté des plans du FMI et de l’inflation financière provoquée par le krach de ces derniers mois.

Une cinquantaine de chefs d’État présents, devant les caméras du mon- de entier : si le sommet de l’organisation mon- diale pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) des Nations unies, réuni depuis hier à Rome, suscite un aussi vif intérêt, c’est qu’il intervient à un moment où l’humanité est confrontée à une situation tragique. L’explosion des prix des denrées alimentaires laisse planer la menace d’une extension des famines. Le nombre de personnes ne mangeant pas à leur faim, à un niveau déjà insupportable - quelque 854 millions d’êtres humains officiellement recensées aujourd’hui -, est en passe de suivre la même courbe que celle des cours du blé, du riz ou du soja, observée avec appétit par les traders dans les salles de marchés à terme.

Les émeutes de la faim se multiplient, d’Égypte en Haïti, en passant par l’Indonésie,
et la FAO pointe quelque 28 pays plus particulièrement touchés dont une vingtaine sur le seul continent africain. Dans ces endroits, s’inquiètent les experts de l’organisation, la crise alimentaire pourrait générer des violences et prendre vite une tournure ingérable. Jacques Diouf, le directeur de la FAO, lui-même, pourtant astreint à la réserve onusienne, n’a pu s’empêcher de faire part de son dépit et de son désarroi en déclarant récemment que, dans ces conditions, les objectifs du millénaire avancés, au tournant de l’an 2000 par l’ONU (réduction de la pauvreté et de la malnutrition), ne seraient pas atteint en 2015 comme prévu, « mais dans cent cinquante ans ».

Où se situent les vraies responsabilités ? Chacun sent bien que les explications avancées ici et là sur le dérèglement climatique qui aurait commencé à provoquer davantage de sécheresses ou sur l’appétit croissant des Chinois et des Indiens, coupables d’imiter nos modes d’alimentation, ne sont pas satisfaisantes. Quant aux théories malthusiennes que d’aucuns s’efforcent de remettre au goût du jour en prétendant que la planète serait incapable de nourrir prochainement 9 milliards d’individus, elles constituent une imposture, les spécialistes les plus sérieux du monde agricole s’ac- cordant sur le fait que la moitié des terres arables du globe ne sont pas cultivées et que l’on aurait largement les moyens de nourrir une planète bien plus peuplée qu’aujourd’hui.

Ces pseudo explications ne permettent pas de comprendre l’ampleur de la tension bien réelle observée sur la demande face à une offre relativement insuffisante. Elles fonctionnent, en fait, comme autant d’écrans de fumée pour tenter de cacher les responsabilités clés du système capitaliste mondialisé dans les causes essentielles de la crise alimentaire actuelle.

Les hausses de prix provoquées par le manque relatif de produits alimentaires de base peuvent être déduites très directement de la réorganisation de l’agriculture mondiale impulsée depuis une vingtaine d’années par les institutions financières internationales. En 1999, un rapporteur de la commission des droits de l’homme de l’ONU, qui avait enquêté sur les conséquences des plans d’ajustements structurels pilotés par le FMI et la Banque mondiale, faisait observer qu’ils étaient « l’expression d’un projet politi- que, d’une stratégie délibérée de transformation sociale à l’échelle mondiale, dont l’objectif principal est de faire de la planète un champ d’action où les sociétés transnationales agiront en toute sécurité ».

C’est cette restructuration à marche forcée qui a conduit les nations du Sud à se « spécialiser » dans de grandes cultures de rentes tournées vers les exportations. Et c’est donc elle qui a torpillé les agricultures vivrières, et du coup la moindre velléité de souveraineté alimentaire.
Les institutions financières internationales, tout comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et son forcing à une libéralisation tous azimuts, toujours bien en cours aujourd’hui à Rome, sont donc très largement à l’origine des dysfonctionnements structurels qui émergent aujourd’hui. Mais les hausses de prix n’auraient jamais pris la dimension phénoménale observée ces dernières semaines, si elles n’avaient pas été boostées par la spéculation financière. Les opérateurs les plus impliqués dans la fameuse crise des subprimes ont en effet utilisé les milliards de liquidités (crédits bon marché) mis à leur disposition par les grandes banques centrales pour tenter de se refaire com- me de vulgaires joueurs de casinos en misant sur les céréales et les autres productions alimentaires de base.

Face à la gravité de la situation des mesures humanitaires d’urgence sont certes indispensables mais elles seraient bien trop courtes et vouées à l’échec si n’étaient pas avancées simultanément des alternatives fortes quant à l’aménagement mondial de l’agriculture. Tout comme une thérapie de choc pour guérir la planète du cancer financier qui la mine.

Bruno Odent

Source : http://www.humanite.fr/2008-06-04_International_La-faim-pourquoi

Aucun commentaire: