mercredi 11 juin 2008

Entretien avec Oskar Lafontaine

Le site humanite.fr publie sur sa plate-forme internationale l’interview du dirigeant de Die Linke paru le 10 mai dernier dans le journal outre-Rhin Die Tageszeitung.

Oskar Lafontaine, le Linkspartei pratique-il une politique de redistribution classique ?
Oskar Lafontaine : Non, il s’agit plutôt d’une politique de restitution. La mauvaise distribution commence à partir du moment où le chef de la Deutsche Bank, Ackermann, gagne – ou plutôt prend dans la caisse de la Deutsche Bank – 14 millions d’euros par an alors que le gardien ne touche que 5 euros de l’heure..

Votre camarade de parti Helmut Holter craint pourtant que l’étiquette de « parti de la redistribution » reste collée à Die Linke – et il réclame des finances publiques solides. Vous êtes d’accord ?
Oskar Lafontaine : Cela va de soi. Vous avez devant vous un ancien ministre fédéral des finances qui, dans les années 90, n’a pas présenté de budget comportant le moindre accroissement net de la dette. Mais je crois que pour pouvoir assainir les finances publiques, il ne faut pas économiser au moment où précisément la conjoncture est faible. C’est cette erreur qu’a faite la coalition rouge-verte (du chancelier Schröder NdT). On a besoin de croissance pour consolider le budget.

Le Linkspartei veut que l’Etat dépense au moins 50 milliards d’euros supplémentaires par an. Cela paraît extravagant. D’où viendrait l’argent ?
Oskar Lafontaine : Je ne vois pas ce qu’il y a d’extravagant à cela. Si l’Allemagne avait les mêmes taux de prélèvements que la moyenne des autres pays de l’UE, cela signifierait même un surplus de rentrées fiscales de 120 milliards d’euros.

Concrètement, quels impôts voulez-vous augmenter ?
Oskar Lafontaine : Nous voulons baisser les impôts qui frappent les ouvriers qualifiés, les petites et moyennes entreprises. En même temps nous voudrions faire participer plus fortement les revenus les plus élevés au financement de l’Etat – cela passe par un taux progressif d’imposition des plus hauts revenus, une augmentation des droits de succession, un impôt sur la fortune et sur les valeurs boursières. Et nous voulons taxer davantage les profits des entreprises.
Les hauts revenus et les entreprises sauront se défendre. Comment allez-vous empêcher la fuite des capitaux et des contribuables ?
Il y a partout fuite des capitaux. Mais même les pays de l’UE aux taux d’imposition et de prélèvements plus élevés maîtrisent ce phénomène et encaissent davantage que l’Etat allemand. Par exemple l’impôt sur la fortune : si l’Allemagne s’alignait sur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, cela ferait un surplus de rentrées fiscales de 50 à 60 milliards d’euros par an.
Le Linkspartei veut davantage d’impôts pour les riches, il refuse les assurances privées pour les retraites, il veut que les chemins de fer et l’électricité soient aux mains de l’Etat – tout cela ressemble à la République Fédérale des années 70. Pourtant, la République s’est profondément transformée. Ne faut-il pas que vous cherchiez des solutions nouvelles au lieu de ressortir de vieilles formules ?
Que nous voulions retourner aux années 70, ce sont les propos polémiques de nos adversaires. La vérité, c’est que nous avons aujourd’hui un capitalisme piloté par les marchés financiers. Voilà pourquoi il faut de nouvelles réponses. Et nous les apportons. Nous sommes les premiers à avoir réclamé une rerégulation et un contrôle des marchés financiers internationaux. Deuxièmement, nous étions contre l’autorisation des hedge funds en Allemagne car avec un faible investissement, il peuvent entraîner un effet de levier considérable. Troisièmement, nous faisons l’expérience que des entreprises entières sont dépecées par des investisseurs financiers. Pour empêcher une telle dérive, nous avons besoin de davantage de cogestion paritaire et la participation des salariés au capital de l’entreprise.

Vous voulez « vaincre la barbarie de la société capitaliste »…
Oskar Lafontaine : … il s’agit là d’une citation de Rosa Luxemburg.

Et où peut-on voir cette barbarie dans l’Allemagne de 2008 ?
Oskar Lafontaine : On peut trouver barbare ce qui se passe chez Lidl. La guerre du pétrole que mènent les USA en Irak est sans aucun doute barbare. Le socialiste français Jean Jaurès adit : « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage. »

Vous aimez bien les citations : vous voulez également reprendre des passages du Manifeste Communiste dans le programme du Linkspartei.
Oskar Lafontaine : C’était une réponse à une question polémique du journal Die Welt. Notre programme n’est évidemment pas rédigé dans la langue du XIXème siècle. Ce qui compte, ce sont les contenus.

Quand même : le Manifeste Communiste dans le programme du parti, la représentante de la Plateforme Communiste, Sarah Wagenknecht éventuellement vice-présidente du parti – le Linkspartei ne serait-il pas dans un trip rétro ?
Oskar Lafontaine : Lorsqu’a été adopté le programme de Godesberg en 1959, le président du SPD a dit que le Manifeste Communiste était un texte fondateur du mouvement ouvrier. C’est également ainsi que je vois les choses. La vision d’une société libre sans exploitation ni oppression n’est pas un trip rétro.

Le Linkspartei a certes remporté d’étonnants succès à l’ouest, mais il n’y a que 16 % des électeurs qui puissent s’imaginer voter un jour pour le Linkspartei. Pour le FDP et les Verts, ils sont 30 %. Comment allez-vous sortir de ce milieu étroit ?
Oskar Lafontaine : Nous sommes encore un parti très récent. De ce fait nous ne sommes pas encore acceptés par la société comme le sont les autres partis. Et de surcroît, nous sommes combattus et discrédités par tous les autres partis.

Mais justement, cela profite au Linkspartei.
Oskar Lafontaine : Mais cela lui nuit également pour atteindre de nouveaux milieux.
Les électeurs de l’ouest, en Hesse ou en Basse-Saxe par exemple, ne font aucunement confiance au Linkspartei pour résoudre les problèmes. Ils votent à gauche pour exprimer leur protestation.
Ce n’est pas étonnant que presque personne attende d’un parti récent, n’ayant jamais eu d’élus au Landtag, qu’il résolve les problèmes. C’est tout à fait normal. Nous assistons depuis de nombreuses années à la mise en place d’un secteur à petits salaires, à la suppression des acquis sociaux et à la baisse des salaires réels. La masse est décrochée, une élite est favorisée. C’est cela que nous voulons changer. Et plus des deux tiers des électeurs considèrent que nos revendications centrales sont justes. Cela contredit fortement l’idée de faire de nous un simple parti protestataire.

Dans le Linkspartei se constituent plusieurs courants : à l’est, plutôt des « réalistes », à l’ouest plutôt des « fondamentalistes ». Où vous situez-vous ? Au centre du parti ?
Oskar Lafontaine : Oui. En fait, je ne crois pas que les différences entre ces courants soient aussi grandes qu’on le dit souvent. Sur les questions-clés comme par exemple la privatisation de biens publics ou des caisses d’épargne, nous sommes tous d’accord.

Mais vous avez qualifié des responsables politiques du PDS à l’est de « sociaux-démocrates de droite. »
Oskar Lafontaine : J’ai dit que celui qui vend des logements appartenant à une commune afin d’assainir son budget agit comme un social-démocrate de droite. Et un certain nombre qui avait voté à Dresde pour une vente totale a d’ailleurs quitté le Linkspartei.
Tout le monde est donc d’accord dans le Linkspartei et il n’y a pas de courants. Pourtant, à l’est, beaucoup disent qu’on ne peut pas se contenter de réclamer un salaire minimum à 8,44 € - il faut également dire comment on l’instaure sans menacer les emplois. Mais vous, vous vous contentez d’établir le Linkspartei comme parti protestataire qui réclame beaucoup sans être soumis à la contrainte de réaliser quelque chose.
Allons, j’ai exercé pendant 25 ans des responsabilités gouvernementales. J’espère que l’on m’accorde que je sais comment mettre en pratique les choses. La vérité, c’est qu’en ce moment, le Linkspartei transforme davantage – pour le retraites ou les impôts – en étant dans l’opposition qu’il ne pourrait le faire au gouvernement. Nous déclenchons les débats qui agitent les autres partis Que peut vouloir d’autre un jeune parti ?

Gouverner, par exemple. Mais cela vous suffit, à vous, d’être dans l’opposition.
Oskar Lafontaine : Non, nous voulons changer la politique. Et c’est aussi possible en étant dans l’opposition. Nous nous défendons d’être un parti protestataire. Lorsqu’au Bundestag nous sommes pour la réintroduction de la déduction fiscale transport/travail et que d’autres partis comme la CSU endossent cette position, alors nous sommes bien un parti qui apporte et qui crée.

Mais cette déduction fiscale transport/travail a-t-elle un sens ? Finalement, le conducteur d’une Porsche en bénéficie aussi.
Oskar Lafontaine : Je vais vous dire, en fait je pense qu’aucune déduction fiscale n’est une bonne mesure, pas même la déduction transport/travail. Près d’un tiers des salariés ne profitent pas du tout des déductions fiscales parce qu’ils gagnent si peu qu’ils ne payent aucun impôt. Ce type de déductions fiscales ne bénéficient qu’aux salariés qui se situent au dessus du secteur des bas salaires alors que ce sont justement les bas salaires qui ont le plus besoin d’être soutenus. C’est un problème structurel difficile à faire comprendre. Pour le soutien social, nous devons passer à des versements directs.

Que pensez vous de la réduction du temps de travail accompagnée d’une réduction de salaire ? Donc travailler moins et gagner moins.
Oskar Lafontaine : C’est ce que j’ai réclamé en 1988…

… Ce qui vous a valu la colère des syndicats.
Oskar Lafontaine : Oui, je continue de penser que c’était une idée juste. Si nous étions au gouvernement, nous appliquerions cela dans le service public pour les hauts revenus. Lorsque j’ai gouverné en Sarre, il y avait beaucoup d’enseignants qui ne trouvaient pas d’emploi. Nous avons créés des postes à temps partiel des deux tiers pour donner un emploi à tous. C’était une bonne mesure.

Vous avez donc suivi une même ligne droite de 1988 à maintenant ?
Oskar Lafontaine : Tout à fait. La convention collective signée à Berlin en 2003 par Frank Bsirske correspondait à ce concept : réduction du temps de travail et du salaire pour ne pas supprimer les emplois. Il faut évidemment exclure de cette mesure les bas salaires car sinon, il leur resterait trop peu. Je sais que ce n’était pas populaire. Mais il est plus important que les gens conservent leur emploi.

Il y a vingt ans, vous avez réclamé davantage de travail le samedi et le dimanche. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Oskar Lafontaine : Je me suis également battu pour la défiscalisation du travail posté et du travail les jours fériés. Si le comité d’entreprise est d’accord pour le travail le week-end et prend en compte les familles, pourquoi pas ? Si de jeunes célibataires par exemple veulent travailler le dimanche, je ne vois pas ce qui s’y oppose. Pourquoi riez-vous ?

A vous entendre parler ainsi, on est loin de l’image du populiste extrémiste…
Oskar Lafontaine : Vous voyez, je suis quelqu’un de méconnu, un brave type.

Est-ce qu’en fait vous jouez avec l’image de l’extrémiste ?
Oskar Lafontaine : Oui et non. En fait, on ne veut pas être constamment en butte à l’hostilité. Mais d’un autre côté, il est important d’être à contre-courant. Seuls les poissons morts suivent le courant, dit un proverbe chinois.

Ulrike Herrmann et Stefan Reinecke
Traduction : Alain Rouy

Source : http://www.humanite.fr/Entretien-avec-Oskar-Lafontaine

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