Nicolas Sarkozy avait décrit le « long manteau d’églises » (1). Mercredi soir, le premier président de la République en exercice à avoir répondu à l’invitation au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) en a remis une couche sur sa conception de la laïcité. « Le drame du XXe siècle n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence, accuse-t-il. Si les religions sont impuissantes à préserver les hommes de la haine et de la barbarie, le monde sans Dieu, que le nazisme et le communisme ont cherché à bâtir, ne s’est pas révélé tellement préférable. » Le « monde sans Dieu » a échoué ? Retour au religieux comme acteur de la société. Et tant pis pour les athées et les agnostiques, difficiles à étiqueter selon la nomenclature sarkozyste, et donc exclus de son projet de société.
Hiérarchie de la morale
Lors du discours de la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome, prononcé à l’occasion de son intronisation comme chanoine d’honneur, il avait déjà plaidé pour une « laïcité positive ». Manière de dire que la laïcité actuelle, née de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État, est sinon négative, du moins trop restrictive. Devant le CRIF, il a fustigé la « chape de plomb intellectuelle » qui fait « s’offusquer qu’un président en exercice puisse dire tout simplement que l’espérance religieuse reste une question importante pour l’humanité et que croire dans (sic) quelque chose vaut parfois mieux que croire que tout se vaut ». Effectivement, tout ne se vaut pas, comme Nicolas Sarkozy avait tenté de le faire croire au Latran. « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage du bien et du mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur (…) parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » Affirmation d’une hiérarchie de la morale au profit des institutions religieuses, dont il entend qu’elles jouent un rôle de gestion de l’ordre social. N’avait-il pas déploré, lors du même discours, « la désaffection des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres » ?
Pour répondre à ses détracteurs, qui l’accusent d’outrepasser ses fonctions en faisant constamment référence à sa foi, le président de la République, répond, en rhéteur jésuite, par une autre question : « Le principe de laïcité doit-il me priver du droit de rencontrer des prêtres, des pasteurs, des rabbins, des religieux » ? Une fausse interrogation, puisque l’Élysée prépare une révision, pudiquement appelée « toilettage » de la loi de 1905. Inscrire la société française dans les rapports de sujétion à la religion qui avaient cours au XIXe siècle ? « Ce sera fait durant le quinquennat », espère Emmanuelle Mignon. Selon l’ancienne « scoute unitaire », un temps tentée par des études de théologie et actuellement directrice de cabinet du chef de l’État, il a « la volonté d’avancer sur les conditions d’application de la loi de 1905 ».
conseillers catholiques
Toucher à l’un des piliers de la République ? Périlleux. Surtout lorsque certains acteurs de la religion en France s’y opposent. Mercredi, Richard Prasquier, le président du CRIF lui-même a manifesté sa gène sur la relance du débat sur la loi de 1905. Rappelant qu’« aux juifs, la loi de séparation de 1905 a apporté la neutralité bienveillante qui a garanti l’égalité », il s’est posé en « partisan résolu de la laïcité ». Les limites de l’exercice de drague présidentiel sont posées, par le public même qu’il cherche à séduire à coups d’artifices communautaires…
Qu’attendre d’autre de la part d’un exécutif inspiré d’une série de conseillers catholiques qui ont truffé les interventions du président de rappel des « racines chrétiennes de l’Europe » ? Henri Guaino a pesé fortement sur le discours de Riyad, le dominicain Philippe Verdin est corédacteur du livre d’entretien de Nicolas Sarkozy La République, les religions, l’espérance, et Patrick Buisson, ancien de Minute et conseiller officieux, n’est sans doute pas étranger aux incessantes références à la mission « civilisatrice » de la religion… Emmanuelle Mignon elle-même lâche dans le Nouvel Observateur : « La religion serait de l’ordre de la vie privée. C’est absurde. Quand on est croyant, cela irrigue toute votre vie. » Dans la « France d’après », la religion « irrigue » la vie de tous les Français. Même de ceux qui « ne croient pas ».
(1) Formule née de la plume d’Henri Guaino, lors d’une convention UMP sur l’Europe, le 30 janvier.
Grégory Marin
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