vendredi 24 octobre 2008

La réalité des conditions de travail : exploitation ou esclavage moderne?

Clara est préparatrice de commandes dans une base Intermarché, c’est-à-dire une structure qui gère l’approvisionnement des grands magasins, leur livraison et les commandes aux fournisseurs. Elle vit seule avec ses deux enfants, âgés de 3 et 6 ans.

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Je me lève à 5h45. Je m’habille dans ma tenue Intermaché, sans même prendre un petit déjeuner. Je réveille mes enfants, les habille à moitié réveillés et on se jette dans l’auto.

Vers 6h20, je laisse mes enfants chez la nourrice. Un petit bisou sur leurs joues encore endormies – ils n’ont même pas le courage d’y répondre – un dernier au revoir et direction le boulot. Mes yeux me piquent, remplis d’une fatigue qui s’accumule de jour en jour.

A 6h30, j’arrive devant la cahute du poste de garde. Un grand costaud employé par une société de gardiennage me tend la feuille de signatures et mon badge, pour pointer. La signature permet seulement de savoir combien nous sommes, à l’intérieur du dépôt. Il paraît qu’en cas d’incendie nous n’aurions que 10 minutes pour sortir, ce qui leur éviterait de devoir verser une pension à mes enfants. Ah, on se sent aimés !

6h35. Je prends mon chariot élévateur électrique. C’est mon aide, il va m’aider à remplir ma tâche. Il est le prolongement de moi-même. Sans lui je ne peux pas faire de commande, mais lui peut servir à une autre que moi. Je me dis parfois qu’il a droit à plus d’égards que moi. Lui, on le répare, on ne l’engueule pas quand il est malade, on ne lui fait pas payer ses sautes d’humeur ou ses coups de mou. On doit y faire attention, le recharger, l’entretenir. Nous, c’est plutôt : « si vous êtes pas contentes, la porte est grande ouverte. Allez bosser, maintenant ! ».

Je m’arrête boire un café, c’est la seule chose que j’aurai dans le ventre avant mon retour chez moi. Je l’apprécie, moi qui n’aimais pas ça avant !

Après 500 mètres j’arrive pour prendre mes commandes. Une commande est faite par les magasins. Elle comporte plusieurs types de produits qu’on nomme « colis ». Suivant le nombre, je sais si ma journée sera plutôt tranquille ou « speed ». Moins j’ai de commandes, plus c’est simple ! Cependant, le nombre de commandes m’indique seulement la facilité que j’aurai à faire mon travail. Mais je sais que, de toute façon, j’aurai au moins 1250 colis à mettre sur palettes.

A 6h50, je me jette dans les allées. Je pars un peu avant les autres pour éviter la cohue. Quand tout le monde a ses commandes, c’est chacun pour soi : on a au moins 1250 colis à faire dans la journée – alors plus vite on va, plus vite on pourra souffler !

A 10h, on fait une pause de 21mn (précision suisse) – enfin, si on peut, car s’il manque du monde ou si les magasins ont trop commandé (comme avant et après un week-end), on se retrouve avec des colis en plus. Certains salariés qui ont du mal à suivre le rythme se suppriment eux-même la pause pour éviter de finir trop tard. Selon le nombre de commandes et de colis (jamais inférieur à 1250), je finis ma « prépa » vers 13h / 13h30.

Certains pourraient penser qu’après avoir levé environ 7 tonnes de beurre, de fromage, de lait et autres denrées alimentaires, je pourrais prétendre à une petite pause. Mais ceux-là sont bien trop gentils pour vivre dans ce monde ! Car après, on doit nettoyer les allées, c’est-à-dire enlever les cartons qui traînent, refaire les palettes de produits, etc. On pourrait me demander pourquoi, lorsqu’on fait notre « prépa », on ne range pas au fur et à mesure. Mais c’est que les commandes sont notre priorité. Tout doit partir le plus rapidement possible. Pas le temps de se baisser pour ramasser un carton qui traîne !

La médecine du travail nous dit régulièrement que nous devons prendre les colis en pliant les jambes, et non en pliant le dos. Nous ne sommes pas contre ! Cependant, nous finirions toujours à 19h ! Alors tant pis : nous aurons tous et toutes le dos cassé dans 4 ou 5 ans. Nous n’avons pas vraiment le choix.

Je quitte le travail vers 14h21 (pas avant, sinon on se fait remarquer, voire réprimander). Je remonte dans mon auto, je retrouve mon fils de trois ans chez la nourrice et l’emmène à la maison faire sa sieste. J’ai enfin le temps de manger un peu. A 16h30, je vais chercher ma fille à l’école. La joie de vivre de mes enfants et leurs besoins de tendresse achèvent de me fatiguer. Pourtant, je dois encore laver les enfants, ranger, faire à manger, les courses, le repassage, etc.

Vers 21h00, enfin, je me pose, repue de fatigue. Il m’arrive de me dire qu’heureusement, je suis célibataire – car s’il fallait en plus assumer un rôle de femme, je ne sais pas où je trouverais l’énergie !

Et le lendemain, rebelotte, et même un samedi sur deux. Tout ça pour 1100 euros par mois. Ah, vraiment, il n’y a pas à dire : je ne suis pas à plaindre !

En plus, j’ai de la chance : l’INSEE me dit que je ne suis pas une « ouvrière ». Ils veulent insinuer que je ne travaille pas dans les pires conditions. Je ne sais pas si, d’après les statistiques, je suis une ouvrière. Mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas l’impression que ma vie soit plus agréable qu’une ouvrière des années 50 !

Propos recueillis par Sylvain Roch (PCF Moulins - CGT )

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Envoyez-nous le récit de votre journée de travail !

Cet article sur la journée de travail de Clara est le premier d’une longue série. Nous publierons régulièrement le récit d’une journée de travail d’un salarié. Nous voulons couvrir un large éventail de métiers et de secteurs économiques.

Pour ce faire, chers lecteurs, nous avons besoin de votre aide. Comme Clara, racontez votre « journée type » (ou une journée exceptionnelle) et envoyez-nous votre récit à : redaction@lariposte.com

Source : la Riposte.

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