lundi 1 décembre 2008

Souvenez-vous des bagnes d’enfants

Sylvie Pierron, Conseillère Déléguée à la Cohésion sociale et Culture, Lyon

Avant 1945 en France, il y avait encore des bagnes coloniaux et il y avait encore des bagnes d’enfants. On les appelait comme ça. La France a été la dernière à abolir ses bagnes coloniaux, sur la pression américaine notamment. Ses députés ont défendu le plus longtemps le rôle rédempteur de l’enfer sur terre, nonobstant le double avantage d’éloigner les indésirables, criminels (comme le Jean Valjean de Victor Hugo qui avait volé un chanteau de pain), les opposants politiques (notamment les Communards) et d’utiliser une main d’œuvre corvéable et gratuite au service de l’administration coloniale.

Le « pays des Droits de l’Homme » ne doit donc pas être idéalisé. Il a accordé – et non sans luttes suffragettes – le droit de vote aux femmes 22 ans après la Turquie ! Tout ça pour dire que, si nous laissons ce Gouvernement et ce parlement UMP abroger l’Ordonnance de 1945 qui fonde la Justice des Mineurs en France, c’est au Bagne d’enfants que nous acceptons de revenir. Ils n’auront pas de sabots et de chaînes aux pieds ? Plus de matons, mais des surveillants pénitentiaires ? Des psychologues et des éducateurs, des formateurs : là déjà, c’est moins sûr…Est-ce que ce sera moins réactionnaire pour autant ?!

Et surtout, quel est le projet de cette phase d’enfermement ? A quoi est censée aboutir la punition ? Il faut (re)lire Surveiller et punir de Michel Foucault et se prononcer là-dessus : quelles « vertus » accorde-t-on à la prison pour qu’on veuille l’étendre à des enfants de 12 ans ? Nos prisons d’adulte ont-elles fait leur preuve : en sort-il des citoyens qui, comme disent les feuilletons anglo-saxons, ont « payé leur dette à la société » ? Le taux de récidive – dont on parle tant pour justifier de multiplier la peine par 2 (comme dans les bagnes coloniaux : après la peine proprement dite, il y avait le même temps de relégation, « libre » mais assigné dans la colonie) – devrait nous interroger, non pas sur la « nature » criminelle, mais sur ce que nous n’avons pas fait pendant le temps où ces femmes et ces hommes – bientôt ces enfants ! – pouvaient non seulement réparer leur faute, mais réparer leur vie.

Calquer la justice des enfants sur la justice des adultes, c’est nier plus d’un demi siècle de recherches sur l’évolution psychologique, du petit d’homme à l’adulte (c’est bien la peine de commémorer Françoise Dolto !) ; c’est se placer uniquement du point de vue de l’acte, de la victime et même de la vengeance : tout le contraire de la justice, dont la balance, n’en déplaise aux simplificateurs, a bien deux plateaux. Calquer la punition des enfants sur celle des adultes, c’est refuser d’entendre les trois récents suicides d’adolescents ; c’est risquer l’endurcissement d’enfants qui, même s’ils ont tué, restent des enfants, qui vont devoir comprendre leurs actes (avant même d’en répondre), qui vont devoir porter cela tout au long de leur vie, construire leur vie autour de cela, sortir de cela différents et aptes à la vie collectives.

Si l’on ne croit pas en cela, si l’on croit qu’on est criminel depuis 18 mois et pour toute sa vie, ce ne sont peut-être pas des prisons qu’il faut construire pour enfermer les criminels, mais des bunkers pour protéger une poignée de braves gens ? Si l’on ne croit pas en cela, il n’y qu’un pas vers le rétablissement de la peine de mort !

J’invite tous ceux qui veulent résister à ce recul incroyable de civilisation que représente le projet d’abrogation de l’ordonnance de 1945 :

- à interpeller la Ministre Dati
- à transmettre leur avis de citoyen à la Commission Varinard (parlementaires)
- à organiser vite et partout l’information et la mobilisation de tous, car nous sommes tous responsables de la bêtise et de l’ignominie que notre Gouvernement produit
- à interpeller directement les parlementaires en leur demandant par exemple s’ils se sentent à l’abri d’un acte délictueux, voire criminel de la part de leurs enfants… et s’ils les jugeraient perdus pour le « Bien »

Voix par voix, nous devons gagner un vote négatif de la part des Députés et Sénateurs.

Source : elunet.org

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